Si la question du bien-être animal est presque aussi vieille que la société elle-même – Aristote, Plutarque ou encore Thomas d’Aquin ont écrit à ce propos -, elle reste un sujet brûlant d’actualité car notre rapport à l’animal est en pleine mutation. À commencer par ceux dont nous sommes le plus proche, les animaux de compagnie. 68% des Français qui en possèdent les considèrent comme un membre à part entière de la famille. Les individus se sentent pet parents (et non plus des pet owners seulement), démontrant plus d’attention et d’affection envers leurs animaux. Auparavant, chiens et chats existaient d’abord pour protéger la maison contre intrus et nuisibles, aujourd’hui ils occupent une place similaire voire identique à celle d’un enfant.
Néanmoins, ce changement dépasse le cadre du foyer : les animaux “de rente”, utilisés directement ou indirectement comme matières premières, sont également mieux considérés. Le Parti animaliste a capté 2,17% des voix aux dernières européennes en France, avec pourtant peu de moyens. De même, de 2010 à 2019, le nombre d’associations créées chaque année pour défendre la cause animale est passée de quelques dizaines à plus de 3000. Et au-delà du militantisme, cet engagement se manifeste dans nos assiettes : en Allemagne, en Espagne ou dans notre pays, près d’un quart de la population a fortement réduit ou supprimé sa consommation de viande.
Que ce soit pour les animaux de compagnie ou ceux de rente, cette “vague animale” a des conséquences importantes en termes de consommation. Pour le petfood et le petcare en premier lieu, avec de nouveaux produits et services comme les snacks (+20% de ventes en France en 2020 dans les magasins spécialisés) et les assurances (plus de 120% de CA aux États-Unis ces 5 dernières années). Or, peu de secteurs sont épargnés. Le monde de la mode, qui a presque totalement renoncé à la fourrure, se voit attaqué sur des matières comme le cuir et la laine. Le test de cosmétiques sur les animaux est de moins en moins toléré. Le mode d’élevage des poules est devenu le premier critère de choix des œufs. D’ailleurs, le “facteur animal” dans la prise de décision des consommateurs est grandissant : par exemple, 75% des Américains renonceraient à la maison de leur rêve si celle-ci ne convenait pas à leur animal.
Si tant de pans de notre économie sont touchés, c’est parce que les animal lovers présentent des profils variés. Parmi les pet parents, l’attention va se porter en priorité sur le petfood et le petcare, auxquels ils consacrent beaucoup de ressources. Par exemple, la consultation vétérinaire qui devait être expédiée “vite fait, bien fait” par le passé est devenue aujourd’hui un véritable temps d’échange pour assurer une meilleure qualité de vie à son animal. C’est aussi le quotidien-même des ces personnes qui est bouleversé : travail, vacances, mobilier, relations sociales… tout doit être pet friendly ! L’influence sur les comportements n’est d’ailleurs pas toujours liée à la présence d’un animal à la maison. Pour les antispécistes au contraire, éviter l’exploitation animale est le leitmotiv de tout acte de consommation. Et sans être forcément un radical de la cause, de plus en plus d’individus sont sensibles aux animaux et adaptent leurs comportements en conséquence. Dès lors, pour les marques, quatre opportunités se dégagent.
#1 HUMANISER LE PETCARE
Face à des pet parents plus exigeants et dépensiers, le petcare est en pleine premiumisation, avec une offre plus aspirationnelle, plus sophistiquée et couvrant de nouveaux besoins. L’évolution des packagings, avec des graphismes dignes des magasins les plus branchés et sélectifs, témoigne de cette montée en gamme. Cela se manifeste également par de la nourriture “human-grade”, qui revendique une qualité similaire à nos produits. D’ailleurs, la catégorie suit les tendances du “monde humain”; avec la déclinaison de concepts à la mode dans l’agroalimentaire (ex : yaourt grec, CBD), les meubles ou encore la technologie (ex : trackers d’activité, jouets connectés), à tel point que l’on parle de “Pet Tech”.
#2 ANIMALISER VOTRE MARQUE EN Y AJOUTANT UN SEGMENT PET
Il n’y a pas que le petcare qui puisse surfer sur la “vague animale”. Comme pour les gammes “Famille” ou “Enfants” dans le portefeuille de certaines marques, créer un segment “Pet” est une piste prometteuse de développement. Le groupe Hilton propose le menu pour chien “Bone Appétit”, élaboré avec des experts nutritionnels, dans certains hôtels. Nissan a lancé un crossover pensé pour les familles et leur chien. Spécialement adapté, le coffre est équipé de nombreux accessoires : rampe d’accès, mini-douche et système de séchage pour la propreté, gamelle spéciale anti-renversement et distributeur de friandises intelligent, harnais à clip pour la sécurité et enfin une caméra bidirectionnelle pour faciliter l’interaction avec son animal. Au-delà des produits, les pet parents sont demandeurs de nouveaux services. L’assurtech Dalma couvre les frais médicaux des chiens et chats, avec en plus un accès gratuit à du conseil vétérinaire. Des assureurs traditionnels comme Axa ont d’ailleurs une offre similaire. Si en France, le marché n’est pas mature avec seulement 6% d’animaux assurés, ce chiffre monte à 35% en Angleterre et même 80% en Suède.
#3 RASSURER VOS CONSOMMATEURS
Les labels prennent de plus en plus de place, au propre — sur les packagings — comme au figuré — dans les facteurs de choix des consommateurs. Et ceux en rapport avec les animaux de rente sont particulièrement plébiscités. Garnier s’est engagé à ce que toute sa chaîne d’approvisionnement soit certifiée “cruelty-free”, c’est-à-dire sans aucun test sur les animaux de sa part ou de celle de ses fournisseurs. L’ONG Compassion in World Farming récompense les entreprises qui s’engagent concrètement dans l’amélioration du bien-être animal. Ainsi sont décernés les lapins d’or, les œufs d’or, les poulets d’or… pour tous les élevages respectueux. Une telle initiative est un bon complément à la dénonciation légitime des actes cruels et gratuits de certains abattoirs ou fermes. Cette préoccupation est tellement croissante que certaines marques vont au-delà du format “label” pour se singulariser. La biscuiterie Saint-Michel a fait une publicité pour revendiquer son engagement de n’utiliser que des œufs issus d’une agriculture responsable. D’autres vont encore plus loin, comme la marque Poulehouse qui est uniquement construite sur la promesse de mieux protéger les poules : les œufs proviennent de pondeuses qui ne sont pas tuées quand elles deviennent moins productives avec l’âge, contrairement aux pratiques du secteur.
#4 SE PASSER DE L’EXPLOITATION ANIMALE
Afin de toucher les consommateurs qui ont arrêté les produits d’origine animale, des marques trouvent des alternatives à l’utilisation des animaux de rente et lancent une gamme dédiée, voire plus. Ainsi, le groupe Bel a lancé Nurishh en France, une nouvelle gamme de fromage végétal, alors qu’aux Etats-Unis, il est allé jusqu’à décliner l’ensemble de ses marques en version vegan, avec par exemple un Boursin à base de matières grasses issues de la noix de coco et du colza. Le vegan ne concerne pas que l’alimentation d’ailleurs : la start-up Veggiepharm fabrique déjà du paracétamol, des antihistaminiques et des compléments alimentaires en se passant d’animaux. Elle travaille à l’élaboration de nouveaux médicaments du même type. Paradoxalement, cette volonté de protéger la nature aboutit parfois à des alternatives très artificielles. Les glaces Brave Robot sont produites à partir de lait cultivé en laboratoire. Ce dernier ressemble en tout point — goût, texture, qualités nutritives… — à du lait mais ne provient pas du pis d’une vache, le qualifiant ainsi au label vegan !
Avec une définition renouvelée du bien-être animal — désormais plus inclusif et conséquent —, l’époque exige plus d’efforts, voire d’ambition, de la part des marques. Heureusement, pas de fatalité ! Qu’elles soient de l’univers du petcare, qu’elles utilisent des animaux de rente ou bien qu’elles s’adressent à des consommateurs dont la famille compte un animal, les marques ne manquent pas d’opportunités pour se transformer !
Arthur Sotto, planeur stratégique
Sources : Ministère de l’intérieur 2019, Geranimo 2020, CREDOC 2018, OCHA 2018, Ipsos 2020, Naphia 2021, Realtor.com 2018, GfK Market Intelligence 2021
Realtor.com survey, 1000 Américains, 2018