Locavores, circuits courts, promotion des savoir-faire régionaux… le local n’a plus à faire ses preuves en matière de séduction dans un monde qui perçoit certaines dérives de la globalisation. Au-delà d’être un étendard levé contre la mondialisation, comment ce changement d’échelle peut aussi répondre aux défis du temps ?
3 clés pour mieux comprendre.
Changer d’échelle pour… renouer avec ce (ux) qui compte(nt)
Depuis 2020, le célèbre magazine anglo-saxon Monocle a remplacé son Quality of Life Survey érigeant les 25 métropoles les plus attractives en termes de qualité de vie, par le Small City Index, offrant un nouveau palmarès de villes à taille plus humaine. Cette année, Zurich, Tokyo, Munich, Copenhague, ou encore Vienne ont laissé leur place à Bolzano, Onomichi, San Sebastian, Besançon ou encore Guimarães.
Les nouveaux atouts d’un territoire ? Au-delà des critères traditionnels de qualité de vie urbaine (fonctionnalité du réseau de transport en commun, nombre d’espaces verts par habitant, salaire moyen…), le Small City Index propose de ré-évaluer les villes en fonction de leur potentiel communautaire : évaluation de la scène culturelle locale, fréquences des événements, dynamisme entrepreneurial et sentiment d’hospitalité et convivialité sont les nouveaux critères des endroits où il est fait bon vivre.
Bref, plus de nature et de culture, certes — mais surtout plus de proximité et de connexions humaines.
C’est dans cette quête de relations plus humanisées qu’aux États-Unis, la marque de décoration Chasing Paper et l’application de notation Yelp s’associent pour créer une collection de papiers peints célébrant les meilleurs restaurateurs, barbiers ou artisans de San Francisco, Austin ou New York. Les bénéfices de cette collection à la gloire des petits commerçants sont reversés aux entrepreneurs locaux, tandis que la pose du papier peint est offerte pour les cinquante premiers clients de chaque ville. Une façon de resserrer le tissu urbain et humain, même dans les métropoles.
Au-delà des impacts directs de la crise sanitaire qui a accéléré la digitalisation des entreprises — permettant à beaucoup d’entre nous de pouvoir travailler d’à peu près n’importe où tout en freinant nos velléités d’évasion —, les incitations à voyager plus responsablement, en délaissant les moyens de transport énergivores et en privilégiant le tourisme de proximité, sont autant de tendances structurantes qui posent la question des petites et grandes villes de demain et de la manière de mieux revaloriser leurs territoires.
Changer d’échelle pour… être plus innovant
Loin de l’imaginaire de l’Italie du Sud, Naples constitue aujourd’hui le troisième pôle de start-up du pays et voit le retour de toute une génération d’entrepreneurs natifs de la région.
À Beato, à l’est de Lisbonne, les entrepôts désaffectés au bord du Tage sont réhabilités en espace de co-working et en bureaux de start-ups, entrainant une gentrification de tout un quartier industriel auparavant à l’abandon et contribuant au rayonnement du Portugal — qui compte déjà autant de start-ups que la Grèce, l’Italie et l’Espagne réunies.
Bref, changer d’échelle permet une décentralisation des lieux économiques et des lieux de pouvoir pour offrir aux marques de nouveaux terreaux fertiles, riches d’opportunités et d’innovations.
Et en matière d’innovation, l’exemple de Kooky est probant.
On connait la complexité et les coûts colossaux liés à l’implémentation des infrastructures des filières du recyclage. C’est pourquoi en Suisse, Kooky s’attaque au marché de la tasse à café à emporter de manière plus souple et graduelle, en proposant à ses partenaires retail un nouveau gobelet connecté. Une fois bu, chaque consommateur peut scanner son gobelet, le déposer dans un point de collecte de la marque disposé dans la ville et récupérer son argent consigné. Le gobelet est ensuite désinfecté selon les normes les plus exigeantes et remis en circulation.
En adoptant un périmètre géographique restreint et maitrisable, limité aux villes de Bâle et de Zurich, Kooky s’assure de la performance de son écosystème et peut aisément injecter quelques améliorations au dispositif, avant de prendre davantage d’ampleur.
Changer d’échelle pour… se reconnecter à la culture
En France, les très prisés labels ‘Made in France’ ou encore ‘Fabriqué à Paris’ sont des synonymes incontestables de qualité, de prestige et de créativité. Et si on pouvait aller encore plus loin, et conférer une dimension plus culturelle aux labels ?
C’est le défi que relève la marque de mode polonaise Ania Kuczynska. Longtemps perçu comme un atelier de manufacture européen de second rang, Ania Kuczynska redore le blason du ‘Made in Poland’ en réinjectant valeur et différenciation. En assumant l’histoire singulière de son pays, Ania Kuczynska s’inspire de ce qui rend unique la Pologne aux yeux de toute une génération : du monochrome et des inspirations multiculturelles héritées de l’époque postsoviétique. De quoi enrichir le ‘Made in Poland’, pour en faire une expérience de marque culturelle unique et différenciante.
Enfin, changer d’échelle permet d’avoir une vision plus fine et granulaire de ses publics et d’en tirer de nombreux avantages.
Dans un marché standardisé de la livraison à domicile, où la course à l’instantanéité fait rage, y a-t-il de la place pour des propositions de valeur différentes ? C’est le pari de nouveaux acteurs comme Oja à Londres, Weee aux États-Unis ou encore Didiyo aux Pays-Bas.
En s’appuyant sur une connaissance fine de leurs publics, ses marques offrent des solutions pertinentes aux communautés locales. Ainsi, Oja (entreprise dans laquelle ont investi Booking ou encore Deliveroo) promet la livraison d’une offre variée de produits nigériens, jamaïcains ou encore ghanéens destinée à la communauté afro-caribéenne de Londres. Didiyo, aux Pays-Bas, propose une offre généraliste multiethnique pour réenchanter les cuisines néerlandaises avec pour projet de s’étendre, cette année, en Allemagne et en Belgique.
Loin d’être un repli sur soi ou un retour en arrière, le changement d’échelle génère de nouvelles perspectives et de nouvelles opportunités. En s’offrant les moyens d’une meilleure connaissance de ses publics, en créant de nouveaux laboratoires d’expérimentations, en retissant des liens entre les individus et les cultures, miser sur le local est riche de promesses.
Il ne reste plus qu’aux marques de s’en saisir.
Kim Hartmann