Face à la situation inédite, nous instaurons un nouveau moment de partage. Chaque semaine un de nos collaborateurs nous livre sa pensée et son ressenti. Aujourd’hui, Vincent Viard, Structural Design Manager, répond à nos questions, en liberté capillaire sur faux fond de loft industriel, (dé)confiné et… responsable !
En quoi la crise actuelle change-t-elle le monde, et celui du design en particulier ?
Le structural design est une des disciplines qui fait intervenir le plus de filières industrielles. Il agit sur la structure même de la matière. Il prend des ressources et les redistribue sur toute la planète. Il a un impact réel, palpable. La crise nous a rapproché de cette réalité : un geste à un endroit a des répercussions partout dans le monde. C’est le fameux effet papillon. Le confinement nous pousse à nous concentrer encore plus sur ce qui dure. A prendre conscience de nos gestes, de ce qu’on produit… Ajouter un blister ou un bouton a des conséquences, des implications en cascade au niveau technique et humain, et au final un impact sur le monde.
Cette conviction que le design structurel n’a rien de local ni d’anodin mais entraîne une action physique sur le monde, n’est pas nouvelle. Des designers de renom, comme Philippe Starck il y a dix ans, ou le sociologue Jean Baudrillard avant lui, ont défendu l’idée que l’avenir du design est dans sa disparition. La mission du design n’est pas de faire des objets, encore et encore, mais de viser l’économie des moyens et de minimiser ses interventions. C’est l’ambition que j’essaye de faire passer à mes étudiants : est-ce que vous voulez vous investir dans un projet ou juste créer le millième téléphone qui va encombrer les magasins, puis les poubelles, puis les décharges ?
En mettant en lumière les interconnexions entre toutes les sociétés de la planète, la période actuelle bouscule les dogmes libéraux, les croyances, les vérités auto-assenées, et laisse espérer un changement des paradigmes sociétaux. Tout un chacun se rend compte que les actes ont des conséquences et qu’on peut vivre autrement. Qu’on peut renoncer à certaines choses pour choisir d’autres voies d’échange, de fonctionnement, et qu’on n’en vit pas forcément plus mal. Je trouve que c’est une très bonne chose. Peut-être qu’à l’avenir on réfléchira à deux fois avant de prendre sa voiture pour chercher du pain à 500 mètres de chez soi.
Comment, cependant, contrer les effets pervers de cette crise ?
Avec cette crise, le monde a découvert un outil incroyable, étonnant : Le télétravail. Pour moi qui ai été freelance pendant 20 ans, ce n’était pas une révélation. Je sais à quel point le télétravail peut-être infiniment plus efficace, mais aussi plus exigeant, car il nous oblige à tout préparer, à optimiser notre temps de travail, à peser nos mots, nos pensées, à nous concentrer sur l’essentiel. Certes, travailler tout seul privé de lien social n’a rien d’un idéal de vie, on finit par tourner en rond à force d’être sa propre référence. Cependant, j’aime le fait que cette crise ait battu en brèche la légende du télétravail comme porte ouverte au relâchement d’employés en manque de liens. Et j’avoue que c’est une période très productive pour moi, qui ait besoin d’être focus sur mes tâches, car une erreur de conception peut avoir d’énormes répercussions. Évidemment, il me tarde d’aller à nouveau toucher la matière et « bricoler » des solutions avec les fournisseurs, mais pour ma phase actuelle de stimulation intellectuelle et de travail sur l’imaginaire, ça me va bien, ce calme absolu !
Pour ce qui est de contrer les effets pervers de la crise, ce n’est pas une question de capacité mais de modus operandi. Cette crise a permis aux gouvernements du monde entier d’enfermer instantanément plus d’un milliard d’individus chez eux. Je trouve cette puissance de coercition un peu effrayante, même si c’est pour la bonne cause. Comme si c’était la seule solution car la population ne peut pas être responsable par elle-même. Je m’insurge contre cette idée.
J’ai beaucoup vécu aux États-Unis et j’aime leur conception d’un État qui n’a pas à intervenir ni à dicter aux citoyens leur façon de vivre. Là-bas, la liberté est une valeur cardinale, même si ça conduit à des extrêmes tel ces manifestants qui défilent contre le confinement.
En France, à l’inverse, on attend que le gouvernement nous dise quoi faire, donne ses instructions, comme un papa qui s’occupe de ses enfants, comme si les individus n’étaient pas capables de se prendre en charge et de changer leurs habitudes par eux-mêmes. C’est un mode de fonctionnement qui entretien l’immaturité et l’irréflexion.
Je trouve que résister par temps de crise, c’est justement prendre soi-même des décisions pour sa propre vie, en responsabilité. D’ailleurs, c’est souvent dans ces périodes troublées que les Français ont déconstruit leurs croyances pour prendre leur destin en main. Cette crise nous confronte à nous-même : qu’est-ce que je vais faire ? Pourquoi ? Est-ce bien ? C’est à chacun de réfléchir à ce qui est bon ou pas. En responsabilité. Et si le confinement peut nous aider à devenir adulte, à se sortir les mains des poches, à perdre l’habitude d’être chapeauté par une autorité suprême, à nous repenser et à entrer en responsabilité, tant mieux !
Je suis plus en attente au niveau des entreprises et des marques. Le confinement a permis de progresser en encourageant la relation digitale directe et la mobilisation sur des problématiques particulières. Cependant, il n’a pas été assez long pour remettre en cause les impératifs de fonctionnement ancestraux fondés sur le réseautage et la cooptation. Ce n’est pas encore demain qu’on pourra prendre l’initiative d’un projet argumenté, et obtenir un budget si l’on est assez convaincant, sans que cela ne remette en cause aucune prérogative.
Que va devenir le monde avant d’être englouti par le soleil d’ici 7 milliards d’années ?
Je crois beaucoup aux nouvelles générations. Je vois bien chez les jeunes porteurs de projets que je suis à la KEDGE School, à quel point ils sont animés par des idéaux et une volonté de dépasser le cadre des communautés, des frontières, du commerce d’un autre âge… La pandémie est tombée sur des structures économiques et sociales dépassées. Elle a prouvé la toxicité d’une vision court-termiste sans conséquence.
J’ai travaillé il y a dix ans chez Nike avec des réunions de designers dans le monde entier dès la première année. En huit mois j’avais déjà fait trois fois le tour de la planète. J’ai été vite confronté à une évidence, que la crise a révélé à tous : l’espace est restreint et il n’y a pas « d’autre part » où aller. On s’est rendu compte qu’on était tous dans le même vaisseau, tous interconnectés dans un lieu limité, tous responsables de nos actions et du bien vivre ensemble.
Le monde de demain sera celui que nous aurons choisi. Le confinement nous met à nu. Il nous donne l’occasion de reconsidérer nos valeurs, de faire une introspection sur les fondamentaux de notre vie, sur nos relations au travail, aux amis, à la famille… Est-ce que nos choix de vie nous correspondent vraiment ? Ou sont-ils influencés par la culture, par des valeurs incarnées malgré nous ? La crise nous donne le temps de réfléchir et de décider de ce qu’on veut pour la suite. Moi par exemple, qui vis seul depuis longtemps, je me suis retrouvé confiné avec mon grand dadais de fils. J’ai redécouvert la vie à deux, et j’ai réalisé que je vivais seul non par défaut, mais bien par choix 😉
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