Quand les mots ont deux poids, deux mesures…

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Quand les mots ont deux poids, deux mesures…

Notre société valorise la créativité, l’imagination, l’innovation, mais force est de constater que le droit à l’originalité est soumis à condition. Par exemple, la perception d’un néologisme est étroitement liée à la qualité de son auteur. Quand on est industriel ou publicitaire, tout va bien. Notre rôle est d’inventer des mots. Même que ça s’appelle des « marques » et que ça coûte cher d’en trouver de nouvelles. Ikea, champion du néologisme, va jusqu’à fabriquer des mots qui n’existent pas mais qui sonnent suédois à l’aide d’un algorithme. Quand on est poète ou écrivain, l’art d’inventer des mots forge notre gloire. Idéalement, de façon posthume. C’est qu’il existe un véritable snobisme du néologisme. N’est pas Pivot qui veut.

Abracadabrantesque provoque la risée en sortant de la bouche de Jacques Chirac mais confine au génie sous la plume de Rimbaud, créateur officiel du mot. On zonzonne chez Vian, on trifurque chez Aragon, mais on n’a pas droit à la bravitude quand on s’appelle Ségolène Royal. Et qu’on n’a pas fait exprès, bon, d’accord ! N’empêche, cette discrimination me paraît injuste et réductrice. Le poète poétise, le politique barbarise, tandis que le candidat de télé-réalité « maltraite la langue française » quand il invente l’admirance, la cultivation ou la colorie, quand il sourisse ou s’électrofie, quand il baptise le poulain chevalon ou quand il adoucit le nom de Christophe Colombe. Dans Marianne, on a même inventé un mot pour qualifier cette tendance : la connerieculture ! Et on est content. On en est fier.

Eh bien moi je préfère explorer les nouveaux territoires d’expérience que font fleurir ces élucubrations et ces expressions revisitées. J’aimerais bien voir la fin des haricots verts, inventer l’eau qui dort, monter sur mes grands cheveux et être emmenée au 7ème siècle. Ça change du quotidien ! Vous n’êtes pas curieux de savoir ce que cache le revers du bâton, plutôt que celui de la médaille ? La tête d’une moule, plutôt que celle d’une mule ? En tout cas, pour moi, ça glisse de source !

 

Catherine Sandner

 

 

1334 1001 France