Jadis, un bon employé était un bon petit soldat, capable de se fondre dans le moule, de courber l’échine et d’accepter le rapport de féodalité induit par son statut d’employé. La sécurité de l’emploi était une vertu souveraine. Le patron avait tout pouvoir dans la limite de la loi. La démission était un fantasme de gagnant de loto. On n’en voyait guère que dans les télénovela, quand l’héroïne drapée dans sa dignité claquait la porte au nez de son boss « si c’est comme ça, je m’en vais ».
Et puis les temps ont changé. Les millennials sont arrivés, avec leur impatience, leur folle arrogance, leur soif de sens et leur propension à claquer la porte pour aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Les start-up sont venues bousculer le confort des entreprises bien installées. L’agilité, la capacité d’innover et de s’adapter à un monde en constante mutation sont devenues des qualités primordiales. Le patron n’est plus forcément celui qui tire les ficelles, et il ne sait plus quoi inventer pour satisfaire les meilleurs éléments qui lui filent entre les mains. Ainsi, un bon employé est maintenant, avant tout, un employé qui reste.
Voilà à présent qu’on arrive à une nouvelle étape de cette évolution, où l’employé idéal devient l’employé jadis inemployable. La perle rare n’est plus le clone parfait, mais le clone raté, le mouton à cinq pattes au parcours atypique. L’électron libre, le « profil singulier», l’« esprits neuf », le « rebelle constructif », voire, le « types déviant », celui qui possède les « mad skills » nécessaires pour penser « out of the box ». Comme si, pour performer dans l’entreprise de nos jours, il fallait nécessairement avoir un grain. Ainsi, l’entreprise idéale ressemble de plus en plus à celles des séries américaines post-Ally McBeal, où diversité fait loi, où émergent des seconds rôles à forte personnalité, au physique ou aux caractéristiques improbables.
Seulement voilà, la vie d’entreprise n’est pas une comédie romantique. Étant moi-même une consultante un peu « mad » et hors norme, il m’est arrivée d’être recrutée sur un coup de tête par des patrons séduits mais qui n’ont rien fait pour préparer ma venue. Hors, l’intégration d’un profil atypique n’est pas anodin, elle doit être justifiée, argumentée pour que la greffe ait une chance de prendre. Elle nécessite de prévenir et de préparer les employés en place, surtout ceux qui restent sagement dans le cadre. Pourquoi, justement, être sorti du cadre pour recruter cette personne en particulier ? Quelle valeur ajoutée peut-elle apporter, à l’entreprise mais aussi aux équipes ? Si le patron omet de préparer ainsi le terrain, le nouvel élément risque de débarquer comme un chien dans un jeu de quilles, dans le désarroi de l’intéressé et l’incompréhension de ses collègues. On a ainsi vu plus d’un élément déviant, dont l’auteur, exploser en plein vol, à peine la période d’essais entamée.
Car finalement, on ne réussit jamais avec un seul type de profil dans l’entreprise. Le défi n’est pas tant d’évoluer « out of the box », mais d’avoir l’agilité nécessaire pour sortir et rentrer dans la « box », en fonction des besoins. Et pour ce faire, c’est la diversité des profils qui comptent, millennials et boomers, artistes et experts, « sois sage » et #BeBold !
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